Extraits
Yeux bandés, casques anti-bruits sur les oreilles, masques, gants dans une salle.
4 personnes assises. Tout de suite une femme crie. Après 10 minutes, échanges. Mai 2021
Le fait que ce soit doudou, au frais, sécure, c’était vraiment une expérience cool, enfin pour moi en tout cas. De calme, retrait des sens, une proposition d’être en moi dix minutes. Et même quand tu as crié – car je t’ai entendu -, j’avais pas envie de crier pour me faire entendre, pour te dire : « quoi ? ». Car de toute façon c’était trop compliqué. Alors hop je suis rentrée dans mon truc, au frais, sur ma chaise… T’aurais fait des bruits et tout ça, j’aurai pas été dans la même quiétude mais là comme c’était très tranquille… J’avais juste chaud aux mains, un peu. J’étais prête au bout de dix minutes à retirer tout. J’ai d’abord retiré le casque, pour entendre, et après les gants, parce que j’avais chaud, le plastique.
Moi je ne peux pas ce genre de choses. Je me suis dit : tiens je vais en profiter, je vais me poser juste dix minutes. Mais ça n’a pas du tout marché car immédiatement après je me suis dit : il y a quelqu’un qui me dit de faire ça, c’est quelqu’un que je connais, en qui j’ai une complète confiance, dans un endroit parfaitement sécurisée mais en fait non, c’est pas possible. Ça m’a fait pensé au bout de 10 secondes aux témoignages des juifs qui sont partis dans les camps. On leur a dit : prenez votre valise, on vous emmène. Ils sont partis, ils ont eu une forme de confiance et ensuite on les a zigouillés. Et en plus je suis claustrophobe. Donc je ne peux pas, ne pas voir, pas entendre, pas sentir, en dernier en fait toucher. C’est ce que j’ai enlevé en premier, mon bandeau, immédiatement, au bout de 10 secondes, pour au moins voir qu’il n’allait rien se passer. Ça m’a mise dans un état de panique, si j’avais pas enlevé le bandeau… C’est pour ça que j’ai crié, c’est pour ça que je vous ai parlé. Je me suis dit : est-ce que j’ai le droit de parler ?
Mais pourquoi est-ce que je me pose cette question, personne m’interdit de causer. Mais personne ne m’a répondu. C’est là que j’ai enlevé le bandeau. Rien que d’en parler, ça me stresse total. C’est pas possible d’être privé, même de s’y prêter, de dire oui, ok. Ben non en fait, je ne peux pas. Donc j’ai pris le papier, j’ai écrit : je ne peux pas, puis j’ai enlevé le bandeau. Après j’ai enlevé le casque, parce que je ne peux pas non plus ne pas entendre, j’entendais les battements de mon cœur et ça m’effrayait. J’ai plongé dans des terreurs de toute petite. Donc je suis pas bien là, je suis carrément pas bien là.
Moi, je ne suis pas du tout senti en insécurité. Rapidement je me suis dit : je vais en profiter pour que ce soit un moment calme, où je n’entends pas de bruit extérieur, où je ne suis pas distrait par la vue. Mais après ça a été impossible car il y a eu une sorte de résonance avec quelque chose de politique qui fait que non, ne pas voir, ne pas entendre… Et après ce qui était insupportable pour moi, c’était les gants, la texture, être couvert comme ça. Au final j’ai réussi à trouver une espèce de décontraction où j’aurai presque pu m’endormir. Le plus gênant c’était les gants, la matière extérieure imposée.
Moi c’est marrant, juste avant dans la voiture je parlais d’expérience de méditation, et du coup cela m’a plongée là-dedans. Je me suis dit c’est un cadeau, 10 min de kiff, de break et d’occase de rentrer dans un moment, je ne dirais pas de méditation, car franchement je n’étais pas en train de méditer, mais qui pourrait s’apparenter à ça comme proposition. C’est rigolo, car pour moi les gants c’était l’absurdité de la proposition. Le noir était trop bienvenu, le casque était bien venu, même si c’était un peu serré, mais je sentais ces gants-là et je me suis dit : ça c’est l’absurde. C’est chaud, du coup j’ai les mains qui chauffent. J’ai senti que je m’étais reliée à tout le monde dans ma pensée. Quand j’ai tout enlevé, j’ai pensé à Mes chers compatriotes. Moi, mes chers compatriotes, c’est ceux qui étaient en train de vivre l’expérience en même temps que moi. Je t’ai entendu crier, je me suis dit : ah elle crie, peut-être qu’elle a besoin qu’on lui réponde. En même temps j’avais pas envie donc je ne l’ai pas fait et puis j’ai senti que les autres ne le faisaient pas. Je me suis dit : comment elle vit le fait qu’on ne lui ait pas répondu, qu’est-ce qui se passe pour elle à ce moment-là. J’avais de la joie à vivre ça, c’était joyeux. »